Point de vue d'une chercheuse : l'interview de Mounia El Kotni

Bonjour Mounia, c’est un réel plaisir de pouvoir échanger avec toi aujourd’hui. Ton implication dans le féminisme, et particulièrement les problèmes obstétricaux, est admirable et à féliciter. L’équipe de Keep A Breast souhaitait vraiment apprendre à te connaître et pouvoir partager tes connaissances et ton expérience en tant que chercheuse dans la santé.

1. En premier temps, serait-il possible de nous parler de votre parcours professionnel et personnel pour vous présenter ?

Je suis anthropologue de la santé. La question du genre, des droits des femmes est apparue au cours de mes études. Cela a été un intérêt intellectuel et personnel. J’ai découvert le féminisme etc. Comme l’anthropologie était un métier passion, je me suis dis autant allier les deux.

J’avais une idée générale et je savais que je voulais travailler dans « le droit des femmes » mais je ne savais pas vraiment quelle thématique. Puis, je suis allée au Mexique pour mon Master et j’ai rencontré une coopérative travaillant dans les textiles etc. Et au cours de mon doctorat aux Etats-Unis,  j’ai voulu continuer avec les femmes et la question de la santé est venue à moi. Il y a une association de médecins et de sages-femmes qui cherchait une doctorante, nos chemins se sont croisés et on travaillait sur la question de santé, la maternité etc. Cela ne m’a pas tout de suite parlé personnellement car je ne voulais pas d’enfant. Je me suis demandé si question d’approche cela était vraiment fait pour moi. Mais je me suis dis que j’étais en droit d’en avoir marre qu’on me pose la question de quand j’allais avoir des enfants mais qu’on pouvait aussi en vouloir beaucoup et j’ai eu le déclic à ce moment-là, par l’approche de la justice reproductive. C’est comme ça que j’ai commencé à travailler sur la question de la santé des femmes. J’ai fait ma thèse sur les politiques de santé maternelle  au Mexique. À ce moment-là, la question de la médicalisation de la santé et de la violence obstétricale a surgi. À mon retour en France, je me suis aussi impliquée dans des collectifs sur les violences obstétricales et médicales.

Dans une des interventions de mes formations sur le genre, j’ai rencontré Maëlle Sigonneau et nous avons parlé de féminisme, de santé. Un an après la formation, elle m’a dit qu’elle avait un cancer du sein et je me suis dit c’est une question de santé que je connaissais pas car j’étais plus sur les questions obstétriques gynécologiques mais cela a fait sens. Quand elle me racontait son récit, son éveil au féminisme, la question de rapport médical… Je me suis dit que les outils de l’anthropologie sont aussi pertinents pour éclairer un récit individuel. 


Crédit : Marine Bourserie / Maëlle Sigonneau - MOUNIA EL KOTNI

2. Vous êtes autrice de nombreux articles scientifiques et de livres. Serait-il possible de nous en parler davantage de ceux en lien avec le cancer du sein ? 

La question du cancer du sein est venue par l’histoire de Maëlle. En effet, mes articles sont plus sur la question du Mexique, des formations, des savoirs traditionnels, etc. 

Je souhaiterais vous parler ici du livre collectif Notre corps, nous-mêmes (Hors d’Atteinte, 2020). Ça s’est fait en parallèle de ma rencontre avec Maëlle. Nous avons travaillé pendant 3 ans sur ce sujet là. Cela a été pour moi une façon de travailler sur la question du corps et de la santé qui ne soit pas par l’angle universitaire. Mais que ce soit un travail de recueils, de récits, à la fois de recherche de ressources : recueillir la parole mais d’une manière un peu différente de celle dont j’avais l’habitude en tant que chercheuse. Ce livre aborde toutes les questions de la santé. La santé prise au sens large. Un premier chapitre sur le genre, comment le corps des femmes normé depuis la petite enfance, un chapitre sur la sexualité, un autre sur produire et se reproduire (le corps des femmes au travail, domestique, dans la maternité). Il y a aussi une partie santé et médecine dans laquelle se trouve le sujet sur le cancer et le cancer du sein. Et enfin il y a une partie sur les violences et l’autodéfense.

Pour nous, la santé est impactée par les stéréotypes de genre, les violences que l’on vit en tant que femme, etc. C’est aussi une approche que je continue à avoir dans mes différents travaux : de mettre en avant par le biais de récits individuels qui parfois sont contradictoires mais qui racontent les expériences des femmes en elles-mêmes : par exemple sur la question de la contraception (pour certaines la pilule  leur convient et d’autres vont critiquer). Dans le chapitre sur la santé et la médecine, et sur les violences médicales, nous voulions proposer des ressources sur le cancer du sein et les cancers en général. Il faut réfléchir à quelles informations on donne et comment on les formule pour que les femmes puissent prendre les décisions qui leur conviennent. 


3. Nous avons remarqué que vous mettez en lumière beaucoup de problèmes sociaux dans la médecine, le travail, l’écologie. Avez-vous quelque chose à dénoncer ?

En effet, la question environnementale est évoquée dans le dernier chapitre du livre Im/patiente  qui est une discussion que l’on avait souvent avec Maelle. Quand on parle de causes systémiques (à propos de l’incidence de cancers), on évoque aussi la question de quel air on respire, quelle eau on boit, quel aliment on mange, pourquoi les maladies chroniques non transmissibles (comme le diabète par exemple) sont en explosion. 

Le principal manque est celui de la volonté publique et ambitieuse sur les pesticides, les perturbateurs endocriniens, les rejets des entreprises… Il y a une question d’éducation mais qu’est-ce qu’on peut faire ? Ce sont des études très difficiles et multi factorielles, il s’agit de ce que les chercheur·e·s appellent un  “effet cocktail”. C’est très difficile d’avoir un œil plus large sur le cancer du sein et son lien avec les normes de beauté : les ongles, les décolorations des cheveux, déodorants avec sel d’aluminium qui vont avoir des potentielles conséquences sur notre santé. Il s’agit de questions hyper intéressantes et importantes, il y a un manque de recherche sur ce sujet là. Nous pouvons également dénoncer les relations entre les médecins et patientes qui ne sont pas toujours simples, certains ne sont pas formés pour discuter de certains sujets et ne communiquent pas assez avec leurs patientes.

4. Justement, dans votre livre coécrit avec Maëlle Sigonneau, s’appelant Im/Patiente, vous évoquez l’exploration feministe du cancer du sein. Serait-il possible de nous le pitcher en quelques phrases ?


Nous avons choisis le titre d’une “exploration féministe du cancer du sein” car à travers l’histoire d’une seule patiente on parle de plusieurs sujets. Ce travail part de l’expérience de Maëlle et des injonctions à la féminité qu’elle a vécu en tant que patiente (mettre des perruques, se raser les cheveux, la perte de poids grâce à la chimiothérapie). Toutes ces choses là autour du corps des femmes, le rapport médical, le suivi, le plan affectif, plan professionnel, plan financier, le coût de la maladie, le coût émotionnel…

Au départ Maëlle voulait écrire un livre et les hasards de la vie on fait que nous avons décidé de faire un podcast d’abord. Maëlle est décédée pendant la production du podcast et j’ai fini le podcast avec le studio de production, de sa famille…

Le projet de livre me tenait donc à cœur et j’ai pu le porter suite au podcast. Le livre prolonge ces questions-là avec d’autres témoignages, des études scientifiques, une analyse  à partir de mon regard de chercheuse,  etc.

5. À partir de quel moment avez-vous compris que vous souhaitiez vous engager ? Racontez-nous un moment de votre vie où vous vous êtes dit qu’il fallait que les mentalités changent/que vous les  affirmiez.

Je pratique une recherche action qui n’est pas conventionnelle. Pour moi cela a été la rencontre au Mexique où j’ai eu le déclic. Je ne pouvais pas prendre des informations, aller aux États-Unis, écrire une thèse, rentrer en France et parler des femmes au Mexique et ne rien faire par la suite.

L’association avec laquelle j’ai travaillé était très militante et avait un discours très ferme là-dessus. Cela a été une belle rencontre. Cela a transformé ma façon de faire la recherche. Je l’ai appliquée dans tous les projets que je mène. Au sujet de la question du cancer du sein je ne me suis pas dit que je voulais faire un article scientifique. Je voulais accompagner la recherche au service d’une cause, comment on veut informer mais aussi militer.

Pour moi c’était la façon de faire ma recherche, c’était important d’allier les deux quelque soit les sujets. Pour produire de la connaissance scientifique mais aussi pour un discours plus accessible et des pistes d’action plus concrètes : il faut une formation des médecins, des conseils pour une consultation médicale, vous avez le droit de refuser des gestes… Tout ne se dit pas dans un article scientifique.


6. Si vous deviez terminer par une phrase ou un conseil pour aider une femme qui est dans une situation compliquée, que lui diriez-vous ?
 

Je dirai que leur vécu existe, les femmes méritent d’être entendues, leur parole, leur ressenti… peu importe les choix qu’elles font. Quelle que soit la situation dans laquelle elles se trouvent, elles ont le droit d’avoir accès à l’information, de prendre des décisions. Vous avez le droit de décider et de demander de l’aide de votre entourage, des professionnels de santé.

Vous avez le droit de décider pour votre corps. Quel que soit votre choix je vous crois et je vous soutiens.

Merci énormément pour cette conversation très enrichissante et ton investissement pour autant de causes nous tenant également à cœur.

Si vous souhaitez en apprendre davantage sur Mounia, n’hésitez pas à la suivre sur Instagram https://www.instagram.com/mouniaelkotni/ 

Prenez-soin de vous !

XOXO Keep A Breast 


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