Rencontre avec Caroline Schang, atteinte du cancer du sein pour la seconde fois

Bonjour Caroline et merci infiniment de prendre le temps de répondre à nos questions aujourd’hui !

Battante parmi les combattantes, et maman, tu inspires l’équipe chaque jour par ta force et ta persévérance, malgré les épreuves que tu traverses.

Tu es atteinte d’un cancer du sein pour la seconde fois. Un cancer qui provient d’une mutation génétique. Ayant été diagnostiquée d’un cancer du sein droit à 28 ans, 10 ans peux-tu nous raconter comment s’est passée l’annonce du diagnostic ? Tes appréhensions furent différentes que lors de ton premier cancer ? 

L'annonce d'un diagnostic de cancer est un moment sensible, tant pour le soignant que pour le soigné. Pour ma part, les 2 annonces ont été pleines de maladresse. Il y a 10 ans, on m'a appelé pour m'annoncer que le résultat de la biopsie mettait en évidence des cellules cancéreuses. Le professionnel de santé qui m'a fait cette annonce n'aurait jamais dû le faire par téléphone, sans me demander au préalable si j'étais, par exemple, en voiture, ou encore si j'étais disponible pour avoir les résultats. J’aurais pu avoir un enfant dans les bras, en l'occurrence j'étais sur mon lieu de travail, nous tenions une réunion et nous étions en pause. Je vous laisse imaginer combien il m'a été impossible de poursuivre mon travail ce jour-là après une telle déflagration. Le second diagnostic s’est passé en plusieurs temps.

Premièrement, à la sortie de mon IRM de contrôle annuel, la professionnelle m’a annoncée debout dans le couloir une phrase pleine de sens "les images mettent en évidence une forte prise de contraste, demain, il faudra pousser les examens". Je suis suivie annuellement depuis 9 ans à ce moment-là, et ce qu’elle me dit est loin d’être anodin. Une fois encore, je le reçois comme une détonation. La professionnelle me souhaite une bonne journée et tourne les talons. Je me remplis alors de colère car nous sommes en 2022 et je suis sidérée d’observer à quel point les professionnels ne respectent pas de façon plus systématique le "dispositif d’annonce".


Pendant ton combat, tu as subi une double mastectomie à plat. Cela a un impact direct avec ce qu’on a tendance à associer à la féminité, peux-tu nous parler ton expérience en tant que femme ?


Et bien cette double mastectomie me pendait au nez depuis 9 ans. En effet, étant porteuse de la mutation génétique BRCA2 par ma lignée paternelle, nous avions parlé il y a 9 ans de cette option, c'était l'époque à laquelle Angélina Jolie avait fait sa double mastectomie préventive et l'on entendait beaucoup parler de ça. Ma tante, qui a également dû être soignée pour un cancer du sein bien avant moi, a d'emblée opté pour cette solution. À l’époque, elle m'en avait déjà parlé. C’était alors inenvisageable pour moi. Je pourrais vous parler pendant des heures de cette décision. La poitrine d'une femme est un symbole puissant de la féminité. Et je me suis finalement demandée à qui appartenait la poitrine. On la voit partout, dans les publicités, à la télévision, très érotiques la plupart du temps. Lorsque le cancer a été découvert dans mon sein gauche cette année, la chirurgienne que j'ai rencontré m'a parlé d'une ablation du sein, mais encore une fois je n'étais absolument pas prête.

Je venais de sevrer ma fille après 2 ans et demi d'allaitement, j'étais alors en pleine dépression post-allaitement. J'ai cherché d'autres avis chirurgicaux, afin que quelqu'un accepte de tenter une chirurgie conservatrice de mon sein, un tumorectomie. J'ai vu 3 chirurgiennes différentes jusqu'à trouver ma professionnelle de confiance. Malheureusement les résultats suite à cette première intervention ne se sont pas révélés concluants et pendant mon mois de convalescence, mon intuition me soufflait que je devais me préparer à recevoir de mauvais résultats. J'ai pleuré de longues heures, souvent la nuit, car j'anticipais le deuil de ma poitrine. Pour moi il était évident vu mon parcours et ma mutation génétique, que si l'on me retirait le sein gauche, on retirerait également le droit qui a été touché et amputé du mamelon il y a 9 ans. J'ai fait énormément de recherches, j'ai contacté d'autres femmes qui étaient passées par la double mastectomie, les réseaux associatifs m'ont été d'une grande aide.

J’ai contacté la Maison Rose (Rose-Up Association), la Ligue contre le cancer, l’association Jeune et Rose afin d’entrer en contact et d’obtenir des témoignages et peut-être même des photos de poitrines mastectomisées, reconstruites à plat ou avec des formes. C’est en fouinant sur le net que j’ai découvert les "extra plate", une association qui rassemble des femmes ayant vécu une mastectomie après un cancer du sein, pour faire évoluer les choses et notamment pour faire évoluer les propositions du corps médical. Je m’explique, lorsque l’on vous parle de mastectomie, on vous propose les différentes options de reconstruction avec prothèses, avec lambeaux de peau, en lipofilling, mais l’option de ne pas mettre de prothèses n’est pas vraiment mise en avant, d’ailleurs quand j’en ai parlé, on m’a dit à chaque fois "donc vous ne voulez pas vous faire reconstruire ?". Je pourrais vous en parler pendant des heures. Il y a du chemin à faire mais l’association des extra-plates portée par Carine Vincent a lancé une pétition que je vous invite à découvrir et à signer pour la reconnaissance de la "Reconstruction à plat" comme une des options possibles après une chirurgie de mastectomie, pour que l’on ne dise plus "vous avez choisi de ne pas vous faire reconstruire". C’est dur à entendre, nous n’avons pas besoin de ça. Bien sûr que l’on veut se reconstruire après un tel acte. On veut se reconstruire, sans sein, à plat, sans prothèses. Je vous parlais de mes lectures, ... Au moment où je sors de l’hôpital après ma tumorectomie, un hors série du magazine Causette vient tout juste de sortir et c’est un spécial "sein". Je me vois encore sortir de l'hôpital, bandée d’un pansement compressif, aller chercher mon Causette spécial Sein, bouré d’articles intéressants. Dans les associations qui m’ont aidé indirectement, il y a Sœurs d’Encre.

Lorsque la décision de la reconstruction à plat était encore trop douloureuse pour moi (j’ai mis environ 5 mois à l’assumer), j’ai vu l’exposition "à fleur de maux" à Bergonier et sur les quais pour Octobre Rose. On peut y voir des femmes tatouées après reconstruction en volume et reconstruction à plat. Mon œil se dirigeait spontanément vers les reconstructions à plat et j’ai découvert de magnifiques tatouages très inspirants accompagnés de témoignages tout aussi touchants. Cela m’a aidé à assumer ma décision. La poitrine est un aspect corporel de la féminité hautement symbolique, pour moi qui espérais avoir un 2e enfant et peut être l’allaiter, ce fut un autre deuil à affronter. Pour mon mari aussi, il fait le deuil de ma poitrine. Pour ma fille, encore attaché à mon sein et à mon téton aussi. Le deuil est encore en cours pour nous 3. Aujourd’hui je m’approprie cette absence de forme, ces nouvelles sensations, ce visuel différent. Je me suis offert un soutien-gorge figurez-vous ! Moi qui n’en portais plus depuis des années, j’ai décidé de me réapproprier un des codes de la féminité, le soutien-gorge, grâce à la petite entreprise française Les Monocyclettes qui propose des "mono bonnets" plat ou en volume. Au moment où je vous écris, j’attends que le Père Noël dépose sous mon sapin mon premier soutien-gorge plat qui nous aidera, je le crois, mon mari et moi, à renouer dans l’intimité.

Dans un premier temps j’avais décidé de me faire reconstruire avec des prothèses, mais plus la chirurgienne me parlait du parcours, des différentes interventions, des matériaux utilisés dans les prothèses, des éventuels problèmes postopératoires, plus cela résonnait faux en moi. Alors voilà, je me suis vraiment demandé face à qui j’avais peur d’assumer mon choix d’être plate, et il s’agissait bien de mon intimité avec mon mari, et de la peur d’une mère face à son petit enfant qui perd son doudou (puisqu’on retire le mamelon en même temps que le sein). Lorsque j’ai compris cela, j’ai pu assumer que pour moi, cette solution était celle qui me correspondait. Et j’ai encore beaucoup pleuré. Maintenant tout se passe bien, à 2 semaines postopératoires, je me sens bien globalement et très soulagée d’avoir passé cette étape. Sans oublier que chez moi trône mon buste en plâtre fait avec l’aide de l’asso Keep A Breast, cette étape faite à domicile m’a vraiment aidé à passer le cap, à me préparer à perdre ma poitrine, à entamer le deuil. Je ne suis pas encore prête à me faire mouler à plat, pourtant on me l’a proposé et je crois que dans quelque temps j’accepterais, on verra bien, le temps rend les choses plus douces.

On parle souvent de différentes phases d’acceptation, en tant que maman comment as-tu réussi à l’annoncer à ton entourage ? Et à tes enfants ? Est-ce qu’il t’a fallu du temps pour accepter ce qui allait devenir ton nouveau quotidien avant de l'annoncer ?

Lorsque l’on m’a annoncé que c’était un cancer encore une fois, j’ai immédiatement pensé à l’annonce aux proches. Heureusement, mon mari m’accompagnait donc c’était une annonce de moins à faire ! C’est encore un moment très sensible et qui préoccupe beaucoup les personnes touchées par un cancer. Comment l’annoncer ? Pour ma part, le magazine rose m’a aidé à l’annoncer à ma fille de 2 ans et demi. J’y ai trouvé un article qui disait « comment en parler aux enfants ». Et l’article commençait par « Caroline, maman d’un petit garçon de 2 ans et demi… » qui allait lui en parler, ça parlait d’utiliser le mot « cancer » et non « bobo », de parler avec des mots justes, de ne pas cacher. J’ai donc pu en parler à ma fille très rapidement grâce au soutien de cet article en particulier, qui est arrivé au bon moment pour moi. Je redoutais d’en parler à ma mère, j’avais peur de la voir s’effondrer. Je suis une communicante, tout le monde a été rapidement au courant, le cercle familial, amical, le travail et également les professionnels qui gardent ma fille. Je n’ai pas de tabou et j’ai horreur des secrets en général, de la famille en particulier.

J’ai été transparente avec mes employeurs et je me suis rapidement fait arrêter au travail. Il y 9 ans j’avais réagi de la même façon, j’avais réuni mes proches en leur annonçant la mauvaise nouvelle et en leur demandant de ne pas pleurer avec moi, en leur disant que j’avais besoin de leur soutien et de leurs bonnes énergies, le reste, loin de moi. Parfois, tu l’annonces à quelqu'un et c’est à toi de rassurer la personne, c’est très pénible. Avec mon expérience, je dirais que les réactions des personnes sont à redouter, que parfois il vaut mieux l’annoncer par écrit, laisser la personne accueillir cette nouvelle loin de toi, plutôt que de devoir rassurer ou entendre la personne se confondre en excuse. Suite à l’annonce, bien sûr, il m’a fallu du temps oui, j'étais en colère contre mon corps, je pensais avoir fait le nécessaire il y a 9 ans, je n’imaginais pas du tout que cela puisse m’arriver encore. J’ai rapidement su que ma vie quotidienne serait mise entre parenthèses pendant un an environ. J’ai pu exprimer ma colère sous bien des formes et presque toujours grâce au réseau associatif. J’ai contacté toutes les associations, pour moi, elles ont toutes quelque chose de différent à apporter. À l'Institut Bergonier (centre anti-cancer), où je suis suivi, je vois une psychologue régulièrement, une infirmière formée à l’hypnose, toutes ces personnes extraordinaires m’ont aidé à accepter. Car au départ, je refusais tous les traitements en bloc.

Mon mari a toujours été formidable car il n’a jamais essayé de me convaincre, il me laissait juste exprimer ma colère, parfois il me ramenait doucement à la raison. Tout comme la psychologue qui m’a dit un jour alors que je déprimais à l’idée de devoir me faire retirer le sein « pensez-vous que votre fille préfère avoir une maman avec des seins ? Ou plus de maman du tout ? », sorti du contexte cela peut paraître violent mais elle me connaît et elle sait ce qu’elle peut me dire, cette phrase choc m’a aidé à relativiser un peu le choix de la mastectomie et je l’en remercie.

Est-ce que cette dure épreuve t’a permis d’apprendre quelque chose sur toi ? Un mantra, une citation, un proverbe, un conseil qui peut être aujourd'hui te fait vivre différemment ? Quelque chose que tu as envie de partager ?

Bon, ma vie a déjà changé il y a 9 ans, je m’étais dit alors que je ne voulais plus laisser défiler mes journées pour un employeur, travailler à 35 heures, pourtant je suis une travailleuse, j’ai parfois cumulé 4 jobs durant mes études, j’ai commencé à travailler à 16 ans l’été. Mais rentrer chez soi fatiguée, arriver le week-end et être frustrée de n’avoir que si peu de temps à vivre, je ne le voulais plus. J’aime bien cette phrase qui dit « choisi un travail qui te passionne et tu ne travailleras jamais ». J’ai la chance d’avoir une mère très soutenante sur beaucoup d’aspects, une maman amie et j’ai la chance d’avoir retrouvé un compagnon de vie compréhensif, drôle et doux. J’ai appris comme il était vital d’être en bonne compagnie dans sa vie quotidienne, je vivais il y a 9 ans avec un mari manipulateur et violent. Le cancer m’avait donné le courage de me séparer de lui après 7 ans de vie commune. J’ai compris qui sont mes ami.e.s, toujours là.

Lorsque l’on m’a retiré le mamelon j’ai compris comme je tenais à avoir un enfant et à l’allaiter, c’est devenu un de mes leitmotiv les années qui ont suivi. Nous avons mis du temps à accueillir cet enfant, et je voulais que ce cadeau n’ait rien à voir avec la médecine. La petite est arrivée, je l’ai allaité pendant 2 ans et demi avec un seul sein et c’était pour moi une victoire, une revanche peut être sur ce cancer.

J’ai appris de moi que j’ai la capacité de vite me relever. J’ai appris que la lenteur est bonne aussi. Je n’ai pas perdu mon esprit entêté mais c’est peut-être ça aussi qui m’aide à rebondir après avoir touché le fond du seau.

De nombreuses femmes qui vont lire cet article aujourd’hui mènent peut-être un combat contre le K et / ou ont subi une mastectomie comme toi qu’est-ce que tu aimerais leur dire pour les aider à se battre ?

Ce que j’aimerais leur dire, j’aimerais leur transmettre dans un livre. Cette envie est née suite à mon premier cancer. Je suis une dévoreuse de roman graphique et j’aimerais en faire un récit de vie. Avis aux maisons d’éditions, je vais vous envoyer mon dossier l’année prochaine !

Tout le monde fait de son mieux pour se soigner d’une maladie, lourde, longue, on fait tous de notre mieux. Pour moi, il est primordial d’avoir une équipe médicale de confiance, une équipe médicale dotée d’un grand sens humain dans son travail, mais pour d’autres, elles privilégieront la renommé de tel ou tel chirurgien (ne). On ne met pas tous les mêmes outils dans sa caisse ! Dans la mienne je mettrais aussi les contacts d'un réseau associatif foisonnant, avec entre autres déjà cités, le RKS (réseau des kiné du sein) à contacter avant l'opération pour programmer la prise en charge post-opératoire, c'est vraiment très aidant. Personnellement j’ai besoin de comprendre ce qu’il va se passer, que l’on m’explique de façon claire et pédagogique les options que l’on me propose, d’autres personnes veulent en savoir le moins possible. 

Caroline, nous te remercions “sein” cèrement d’avoir répondu à nos questions avec tout ton cœur et d’avoir partagé ton histoire avec la communauté de Keep A Breast et les lectrices.

Prenez-soin de vous !

XOXO Keep A Breast 


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